Carnet de route Brésil.
Album photo picasa Brésil 1 ici :
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Brésil 2 ici:
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La Real Estrada: du 12 au 23 novembre.
C’est l’ancienne route par laquelle étaient acheminés l’or
et les diamants du Minas Gerais vers Paraty puis Rio de Janeiro.
De Brasilia, nous rejoignons Diamantina par Curvelo où nous
rencontrons deux équipages bretons : un Land Over surmonté d’une cellule
Azalaï des Côtes du Nord et une cellule Logemobile sur un pick-up Nissan de
Loire Atlantique. Ce sont, après deux mois, les premiers voyageurs français
motorisés que nous rencontrons. Ils sont dans la seconde partie de leur voyage
et roulent maintenant vers Brasilia en direction de la Bolivie.
Diamantina, accrochée au flanc de la montagne exige des
freins efficaces et un embrayage sans défaut : ça tombe bien. La petite
ville du XVIII° siècle est parfaitement conservée. Les multiples clochers des
églises baroques crèvent la surface désordonnée des toits de tuiles.
Après un bivouac dans les collines, nous arrivons à Serro,
capitale d’un fromage qui ne nous régale pas. Superbe bourgade qui s’étire sur
les crêtes et très belles maisons coloniales. Dans l’après-midi, une mauvaise
piste en travaux nous conduit à Conceiçao, sans grand intérêt, et où même les
chauffeurs de bus ne savent pas nous indiquer la suite de l’Estrada Real. Nous
prenons le goudron avant de trouver, difficilement, une petite piste vers un
col qui nous offre d’abord une nuit venteuse, puis un réveil dans le brouillard
et la pluie. Si nous n’avons jusqu’ici vu aucun accident, nous rencontrons dans
la descente vers Belo Horizonte, et dans l’ordre : un véhicule sur le toit,
une camionnette de transport en commun dans le ravin, et deux voitures qui se
sont heurtées de front, le tout sur quatre ou cinq kilomètres. C’est jour de
fête nationale, 15 novembre, et tous les Belo Horizontains sont sur les routes,
malgré le mauvais temps. Les bouchons autour de la grande ville nous obligent à
pique-niquer devant le portail d’Arcelor Mittal ! Dès que nous le pouvons,
nous nous échappons par une jolie piste vers le Parque do Caraça. Bivouac sous
les eucalyptus.
Le parc de Caraçà, c’est 11000 ha de forêt qui escalade la
montagne jusqu’à 2000 m : les franciscains y avaient établi un monastère
et un séminaire qui fonctionnait encore dans les années soixante. Les moines se
sont aujourd’hui reconvertis dans l’hôtellerie et reçoivent les touristes qui
espèrent apercevoir les fameux loups à crinières qui habitent la serra. Une
petite randonnée nous mène au pied d’une jolie cascade à travers une végétation
luxuriante.
Nous contournons le haut massif pour entrer dans un paysage
de grandes mines à ciel ouvert qui nous obligent à gagner Mariana pour un
bivouac sur le parvis de l’Igreja San Pedro tout en haut de la ville :
nous attendons la fin d’un mariage pour nous installer et nous sommes aux premières
loges pour le second qui commence à 20 heures et se poursuit fort tard. Dans la
nuit, des jeunes boivent et s’amusent bruyamment : mauvaise nuit. Le
centre ancien de Mariana a conservé ses belles maisons du XVIII° et nombres
d’églises baroques aux autels recouverts d’or. La cathédrale renferme un très
intéressant musée d’art sacré.
De Mariana, il n’y a qu’une quinzaine de kilomètres pour
arriver à Ouro Preto où nous allons passer deux jours : bivouacs à 1300m
d’altitude, en haut de la ville, près de la gare routière qui nous offre ses
commodités. Les rues pavées dégringolent sur plus de trois cent mètres de
dénivelé. Un beau musée rend hommage à Tiradentes, héros de l’Inconfidenia,
mouvement révolutionnaire indépendantiste. Le musée des sciences et techniques
expose 70000 échantillons de roches et minéraux et dévoile les méthodes de
recherche et d’extraction. Dans chaque rue, ou presque, une église : nous
ne les visiterons pas toutes. Le plus ancien théâtre du Brésil a été restauré
dans les années 1920. Une pianiste répète sur la petite scène surplombée
d’adorables balcons en fer à cheval. Le cinéma nous invite gracieusement à la
projection d’un film français, Bleu, de K Kiewlosky, plutôt d’ailleurs en
polonais. Le déjeuner du premier jour est l’un des moins bons de notre séjour
brésilien : le second, l’un des meilleurs, mais on s’est un peu lâchés sur
le prix. Nous revenons sur l’ancienne
Estrada Real vers Congonhas, qui n’a d’intérêt que par sa basilique de la fin
XVII° mais surtout son extraordinaire chemin de croix sculpté grandeur nature
par l’Alejadinho (et son atelier) dans six chapelles sur la colline qui domine
la ville. Nous fuyons l’infecte route principale et ses camions pour une jolie
piste qui serpente dans les collines vertes au pied d’un chainon
montagneux : par moment, on se croirait presque en Pays Basque. Est-ce
pour ça que c’est si joli ? Peu avant Tiradentes, village natal du héros,
nous trouvons notre bivouac au pied d’une jolie cascade qui saute du haut de la
serra Sao José. Sa longue muraille nous domine et s’étend sur des kilomètres.
Tiradentes, c’est une autre plongée dans le XVIII°
siècle : la petite ville s’y est assoupie et se réveille doucement avec le
tourisme. La promenade y est très agréable dans les rues bordées des blanches
maisons coloniales aux boiseries colorées. Un antiquaire a minutieusement
reconstitué un intérieur de l’époque et nous y découvrons de beaux meubles et
objets usuels, en particulier d’imposants bancs à fromage. Excellente adresse
du Routard pour le déjeuner.
Après nous être involontairement séparés, nous nous
retrouvons à Andrélandia. Jacques s’est arrêté
pour ramasser une pièce métallique dont il ne sait pas si elle provient
de son véhicule : un premier coup d’oeil le rassure, il ne semble pas quelle
lui appartienne. Nous entrons dans le massif des «montagnes magiques de
Mantequeira » : c’est un peu excessif, mais c’est bien beau tout de
même. Tout est clôturé de part et d’autre de la route et nous trouvons
difficilement à nous poser pour la nuit, sur une colline, visibles à des
kilomètres, et d’ailleurs, pour la première fois, on viendra nous dire que nous
sommes installés sur une propriété privée.
Les montagnes s’élèvent jusqu’à près de trois mille mètres.
La piste monte franchement pour passer un col à 1400m. Les grands araucarias
ajoutent une crête soignée aux reliefs impressionnants. La descente vers l’est
et l’Atlantique nous ouvre la Mata Atlantiqua, riche forêt sous l’influence de
maritime qui dorénavant couvre tous les
massifs jusqu’à leur plongée brutale dans l’océan. Notre bivouac prévu dans le
parc national de Itaitaia s’achève sur le parking d’une petite ville trop
touristique et « finlandaise », Penedo : tout y est sous le signe de la
Finlande : gastronomie, saunas, maisons de bois. Impossible de s’installer
près ces cascades, envahies de touristes et de baigneurs. Nous en profitons
pour nous glisser sous le toyota de Jacques : la pièce récupérée est une
protection de son pot d’échappement, mais surtout, nous constatons l’inquiétant
décrochage de l’un de ses réservoirs d’eau : une heure de bricolage très
salissant nous permet de remédier provisoirement au problème.
A Resende, le lendemain, nous finissons par faire souder
deux pattes métalliques qui seront bien plus efficaces que le support tout à fait
insuffisant posé par le constructeur de l’azalaï. Après quoi, nous prenons la
route de Rio de Janeiro. Deux cent kilomètres sur une quatre voies, dans la
pluie et le brouillard. Nous nous désolons dans la montagne, quand une
éclaircie passagère nous laisse entre-apercevoir les somptueux paysages dont
nous sommes privés.
Deux heures nous sont nécessaires pour traverser Rio, sur
cinquante kilomètres dans la circulation, et gagner un parking, au pied même du
Pao de Azucar, où nous savons pouvoir bivouaquer. Vers dix- sept heures, nous
sommes garés au bord de la praïa Vermelha, pour huit reals par jour, sous de
beaux arbres et sous la protection des militaires brésiliens : Estado
Major do l’Exercito, Escola de commando, Escola Naval da Guarra, Circulo Militar
… et j’en passe. La baie de Rio s’ouvre devant nous : la brume nous gâche
un peu le paysage.
23 octobre au 11 novembre.
A compter de ce jour, le carnet de route s’allège :
impossible de tenir le rythme. Il faudrait consacrer chaque soir une heure à
son écriture.
Nous reprenons donc la route vers Sao Christovao, ancienne
capitale de l’état du Sergipe. Perchée sur une colline, Sao Chritovao est un
musée à ciel ouvert : églises et couvents des XVII et XVIII° siècles,
richement décorés, azulejos et dorures. Avec la permission des voisins, nous
nous installons pour la nuit devant une petite église, au calme. Pas de chance,
sur le coup de onze heures du soir, il faut se déplacer de quelques mètres pour
laisser place à un fourgon funéraire. Un cercueil est porté dans l’église pour
une veillée mortuaire. Deux cent personnes se pressent en silence, et nous
pouvons nous rendormir.
La « linha verde » et « l’estrada do
coco » se promène dans les collines entre les eucalytus et les champs de
canne à sucre, puis longe la côte bordée de cocotiers. Nous arrivons ainsi à
Salvador de Bahia. Nous repérons le camping de Itapura, à 30 kms du
centre-ville, puis nous nous lançons courageusement dans la circulation. Grosse
galère pour arriver finalement à nous garer pour l’après-midi dans un parking
pour les bus qui nous coûte fort cher. Mais nous sommes à deux pas du centre
historique, le quartier de Pelhourinho bâti sur la colline qui domine la belle
baie de « todos los Santos ». Les places s‘égayent d’animations
diverses : capoeira, groupes musicaux, bahainaises en costumes folkloriques
…Quel contraste entre les rues pavées bordées de bâtiments anciens, d’églises,
de couvents, parfaitement entretenus, fréquentés par les touristes, et les
quartiers bas, sales, décrépits, encombrés, où grouille le peuple très pauvre
de Salvador. Le retour vers le camping, la nuit venue, dans une circulation
démentielle, est une épreuve pour les nerfs. Nous passons la journée du
dimanche au camping et retournons en ville le lundi, cette fois en taxi. C’est
moins animé que samedi, mais nous faisons tranquillement les visites des plus
beaux monuments.
Par Santo Amaro et Cachoeira, très jolie petite ville sur le
fleuve Paraguaçu, nous prenons la route des écoliers en direction de la Chapada
Diamantina. Avant la nuit, nous trouvons notre bivouac sur la place de l’église
(on a souscrit un abonnement) de Santa Terezina, grosse bourgade qui s’endort
dès le coucher du soleil. On nous accueille une fois de plus avec des sourires
et l’assurance que nous sommes en sécurité. La petite ville est toute proprette
et les espaces verts entretenus avec soin.
La matinée du lendemain nous permet d’arriver à Lençois,
porte d’entrée de la Chapada Diamantina. Lençois a pris ce nom, les draps, par
association avec les tentes de toile des innombrables chercheurs de diamant qui
se sont rués sur la région au début du XX° siècle. Par chance, nous découvrons
le restaurant « O bode », l’un des meilleurs self au kilo de
notre voyage jusqu’ici. Un premier tour dans le village, ça monte dur sous le
soleil, nous permet de trouver la « pousada » Dos Duendes, tenue,
avec sa compagne Daniéla, par Gilles, un ancien voisin qui gérait un temps le
bar de la marine à Biarritz où nous avions nos habitudes pendant la saison. Ni
l’un ni l’autre ne sont là, nous les verrons demain matin et nous consacrons le
reste de la journée à une balade vers les vasques et cascades les plus
accessibles sur le rio Lençois. Une eau noire polit un pudding de roches roses
creusé de profondes marmites. Nous nous
installons au camping. Gilles nous reçoit gentiment à la pousada sur le coup de
huit heures le lendemain et nous partons en randonnée munis de ses bons
conseils. Il fait très chaud sur le chemin de « riberaio do meio »
que nous atteignons après une heure de marche, et s’est bien agréable de se
baigner dans les vasques au pied d’un long toboggan. En plein cagnard après le
déjeuner, nous partons Jacques et moi vers la « cachoiera de
Sossego », mais nous abandonnons la partie après plus d’une heure d’effort
sans avoir atteint la cascade. La douche au camping et une excellente
caïpirinha dans la rue animée de Lençois mettent un terme à cette belle
journée. Nous quittons Lençois le lendemain après déjeuner vers Andaraï, par
l’ancienne piste. Un homme en vélo nous remet à plusieurs reprises sur le bon
chemin, tant et si bien que nous nous retrouvons devant sa cabane d’ancien
« garimpeiro » qu’il tente, sans beaucoup de succès, de transformer
en bar-campement-souvenirs pour les randonneurs qui remontent vers la
« cachoiera » de Capivari. Les difficultés commencent rapidement après
la cabane : la piste devient chaotique et il faut franchir de véritables
escaliers, des plages de sable et de petits rios. Il faut surtout, tous les
cent mètres, couper des branches basses qui ferment la piste étroite. Nous
parcourons seize kilomètres en trois heures et la journée s’achève devant un
arbre tombé en travers de la piste : la nuit tombe, nous jouerons les
bucherons demain. Nous improvisons notre bivouac en bord de piste.
Jacques s’est levé aux aurores et a fait la moitié du boulot
quand j’arrive enfin pour l’aider. Nous finissons de couper les troncs et le
toyota les tire sur le côté à l’aide d’une sangle. Quelques
centaines de mètres plus loin, notre bivouac prévu hier, une belle plage de
sable sur le rio Roncador au pied d’un long toboggan de rochers que nous
escaladons. La baignade est délicieuse sous la pluie qui commence à tomber.
Nous longeons la zone humide du Marimbus, refuge de beaux oiseaux et de
nombreux animaux que nous ne verrons pas. Plus loin, dans la forêt, nous
dérangeons une réunion – politique, religieuse ?- au sortir d’un large gué
sur le rio Guarrapa avant de déboucher sur la route goudronnée qui nous mène
enfin au sympathique village de Andarraï. Une étonnante route pavée nous emmène
ensuite, dans la montagne vers le vieux village de Iguatu joliment conservé.
Promenade et déjeuner. D’autres pavés nous raccompagnent au goudron défoncé qui
conduit au « Poço Encantando » à bonne distance d’Iguatu. Nous
bivouaquons sur le parking désert pour être à pied d’œuvre au matin. Equipés de
casques et de lampes frontales, nous descendons en compagnie d’un guide dans le
puits enchanteur : un lac souterrain occupe une large grotte et la lumière
du jour transperce la masse d’eau d’un bleu intense pour dessiner, par soixante
mètres au-dessous de la surface, les moindres détails du fond rocheux.
Sur la route de Mucujè, nous visitons un petit musée du
diamant : outillage des garimpeiros, machines à polir les pierres et un joli jardin botanique. Notre déjeuner,
au kilo, pèse dans l’ascension du Morro du Cruzeiro, au-dessus de l’étonnant
cimetière byzantin. Au sommet, trois cent soixante degrés d’une vue à couper la
souffle (dixit le Routard qui a doublement raison) permettent de découvrir une
grande partie de la Chapada Diamantina. La journée se termine sur une courte
randonnée vers deux petites cascades qui coupent le rio Piabinha et nous
permettent douche et baignade. Les tombes blanches du cimetière président à
notre bivouac.
A l’entrée d’une somptueuse vallée, nous escaladons quelques
rochers jusqu’au confluent du rio Paraguaçu et du rio Préto. Je regrette bien
de ne pouvoir remonter l’une de ces vallées. Une large piste de terre rouge
nous conduit jusqu’à Guiné, écrasé de soleil, en contrebas de la longue falaise
qui interdit la chapada sur des dizaines de kilomètres. Des nécessités
d’approvisionnement nous obligent à remonter jusqu’à Palmeiras avant de nous
glisser dans l’étroite vallée de Capao. Le village de Caete-Açu accueille une
population un peu marginale d’européens en rupture de ban et en recherche d’une
vie en harmonie avec la nature et le cosmos. Le côté nature nous plait assez et
nous partons à pied vers la plus proche des cascades, la Cachoeira Angelica,
sur le chemin de laquelle nous croisons une jeune femme en haillon, au sourire
lumineux, santa Angélica en personne, et un magnifique et inquiétant serpent
cobra corail dont nous n’évaluons pas vraiment la dangerosité en le poursuivant
dans sa fuite. Une fois encore, avec Jacques, nous n’atteignons pas la deuxième
cascade et rebroussons chemin. Bivouac sur la place de Caete Açu qui refuse les
ondes maléfiques du téléphone et ne connait pas, c’est plus grave, la
caïpirinha !
Retour à Palmeiras. Déjeuner au pied du Morro do Pai
Ignacio, dans un restaurant au kilo animé par une accorte serveuse qui lit la
bible entre deux clients et accompagne, faussement, la sono qui diffuse des
cantiques avariés. Nous partons à pied sur une piste qui s’enfonce et descend
entre deux formidables masses rocheuses : une petite cascade nous en fait
espérer une plus grande mais nous devons remonter sans l’avoir trouvée. Et nous
voici de retour à Lençois, après un tour complet de la Chapada Diamantina, une
pizza roborative dans la rue principale et une double caïpinrinha pour cause de
« happy hour » jusqu’à 19h30.
Nous ferons en quatre jours les mille kilomètres qui nous
séparent de Brasilia. Nous en ferons en fait beaucoup plus puisque la
circulation des camions sur la route principale nous incite très vite à
rechercher des voies plus tranquilles. Nous filons vers Bom Jesus do Lapa, puis
vers Capihanda, longeant la belle vallée du Sao Francisco, que nous ne
rencontrons finalement qu’à Capihanda, où nous bivouaquons sur une petite
terrasse qui domine le fleuve. La ville, le soir venu, est parfaitement sinistre.
Nos Gps restent muets sur la suite envisagée et nous renonçons après quelques
kilomètres à nous aventurer sur cinq cent kilomètres de pistes aléatoires pour
gagner la capitale. Nous revenons sur Bom Jésus pour reprendre la route
classique qui trace sur le plateau d’infinies lignes droites et traverse
d’immenses fazendas protégées quelquefois par de hautes haies d’eucalyptus.
Enfin, la route pique au sud, et s’élève peu à peu au-dessus de mille mètres
dans les collines, puis les montagnes recouvertes par le « cerrado »,
exubérant mélange de forêt et de savane
où concourent tous les tons de vert. A notre grande surprise, nous remarquons,
en deux endroits, quelques spécimens de baobabs.
La recherche du camping de Brasilia nous occasionne quelques
tours et détours, mais nous finissons par le dénicher derrière l’auberge de
jeunesse, à quelques kilomètres du centre-ville. C’est assez sommaire, mais
c’est un bon point de départ pour visiter la capitale. Les larges avenues de
Brasilia sont conçues pour les voitures, et même si la circulation a été
décuplée depuis les années soixante, on y roule assez facilement, et l’on s’y
gare sans problèmes. Depuis le parking de la cathédrale, nous pouvons, à pied,
découvrir les principaux bâtiments. Un mariage chic nous permet d’attendre la
nuit et les illuminations avant de regagner notre camping. Je renvoie aux
photos du blog pour se faire une idée de notre après-midi. La recherche d’un
restaurant le lendemain, dimanche, nous permet de pénétrer dans les quartiers
résidentiels, organisés en super-quadras et en quadras, eux-mêmes constitués de
blocks, immeubles d’habitations de cinq ou six étages au milieu de la
végétation. Quatre quadras forment une sorte de village, avec ses commerces et
ses services, son église, son foyer de séniors, son école et son centre de
santé. Mais les distances énormes semblent diluer la vie sociale dans un océan
de verdure. Nous déjeunons, très bien, très cher, dans un restaurant bondé, le
Xique Xique. L’après-midi, nous passons le pont J.K vers le monastère Dom
Bosco, pour une vue magnifique sur
l’immense lac artificiel qui baigne et rafraichit la ville. Retour vers
la place dos Tres Poderes et les beaux édifices qui l’entourent. Enfin, nous
avons la chance d’assister à un petit bout de messe dans le sanctuaire Dom
Bosco, éclairé par le soleil couchant qui enflamme les somptueux vitraux bleus.
Mais qu’il est
difficile de boire un coup, dans le centre de Brasilia !
Une visite inutile dans un centre commercial luxueux et un
repas très simple dans une gargote au pied des immeubles flambant neufs mettent
un terme à notre court séjour dans la capitale. Nous prenons maintenant le
chemin de Diamantina qui nous ouvrira « l’Estrada Real », la route de
l’or et des diamants, vers Rio de Janeiro.
Du 13 au 20 octobre.
Nous ne reprenons la route qu’en début d’après-midi en
direction de Camocim, à une centaine de kilomètres, où nous trouvons notre
bivouac à l’abri des murs qui entourent le phare. Une ampoule de 25 watts lance
vers l’océan un rayon dérisoire et intermittent. La nuit est moins venteuse que
la précédente. Au matin, je renonce à regret à traverser le rio Coerau sur un
petit bac qui nous aurait déposés sur la rive opposée, au pied de la dune
blanche, et à quarante-cinq kilomètres de Jerricoacoara par la plage et le sable : les dames ne
sont pas enthousiastes. Après quelques courses au marché, nous prenons la route
de Granja, pour un détour de quatre-vingt kilomètres sur le goudron. A Jicoca,
il reste tout de même 25 kilomètres de piste dans les dunes : on nous
propose un guide indispensable (!) Nous négocions le prix, dubitatifs, et
après avoir d’entrée dégonflé nos pneus sur les conseils autochtones, nous
parcourons plusieurs kilomètres sur de gros pavés, puis sur une piste dure.
Arrivés au sable, nous enclenchons le 4x4 et prenons la suite du pick-up de
notre guide qui fait cinquante mètres avant de se planter lamentablement dans
le premier pâté venu … pour notre plus grande joie. Et pour le prix, nous
poussons ! La suite est bel et bien dans le sable, mais aucune difficulté
sérieuse ne se présente. La piste, profonde parfois, mais bien marquée,
serpente entre les dunes. Nous parvenons à Jericoacoara, direction le parking
obligatoire et surprise, nous y découvrons des voitures légères qui sont
arrivées là par une piste tout ce qu’il y a de fréquentable. Bon, on s’est fait
arnaquer, c’est pas grave. Les rues de sable du village sont parcourues par les
buggies et les pick-up des agences et des nombreuses pousadas. La plage aussi,
au large de laquelle s’ébattent les voiles multicolores des véliplanchistes.
Une jeunesse dorée occupe les terrasses ombragées des bars et des restaurants.
Les chevaux de location ne font pas recette aujourd’hui mais deux ou trois
cavaliers nous offrent un agréable spectacle, venus se désaltérer sous les
cocotiers, descendant élégamment de leur monture. Le village peu animé à notre
arrivée se réveille dans l’après-midi et les touristes se pressent sur la dune,
dès cinq heures, pour le coucher du soleil et le rayon vert : déception,
personne ne l’a vu. La rue principale se remplit des éventaires à roulettes des
petits marchands d’alcool. De luxueuses boutiques proposent du prêt à porter
branché, les bikinis les plus sexy, de confortables hamacs ou les articles de
déco à la mode. Les agences vantent leurs excursions en buggy et les sorties en
mer. Le petit village de Jericoacoara, découvert par les surfeurs des années
quatre-vingt est devenu le dernier endroit à la mode, mais le charme des rues
de sable opère encore. Nous passons une nuit tranquille sur le parking, douche
et wc à notre disposition.
Pas de guide au matin, pour rejoindre la plage de Préa et le
petit village de pêcheurs, encore en activité. La piste de sable longe la
plage. Je fais une incursion jusqu’aux lacs de Paraïso qui nous promène un
moment dans de jolis passages de sable profond entre dune et végétation dense
qui se resserre et balaie la carrosserie. A Préa, les pêcheurs halent
péniblement les bateaux sur la plage. Après regonflage, une longue piste de
tôle ondulée nous ramène au goudron. Sur la grande route qui nous conduit à
Fortaleza, mes derniers doutes s’envolent : mon embrayage est en train de
me lâcher, et c’est très désagréable dans une circulation dense où j’ai perdu
les capacités de reprise de la voiture. Nous trouvons un confortable bivouac en
bord de plage, entre un restaurant et un hôtel international, à trente
kilomètres de la ville de trois millions et demi d’habitants.
Au matin, le concierge de l’hôtel nous donne l’adresse du
concessionnaire Ford de Fortaleza, en l’absence d’une représentation Mazda.
Nous y parvenons grâce au GPS, bien qu’il nous ait fait traverser le centre-ville par les petites artères
commerçantes bondées de chalands, de livreurs, de taxis, d’autobus. Chez Ford,
on ne fait que de l’entretien classique de véhicules légers, mais on nous
indique aimablement, et par chance tout à côté, un spécialiste 4x4,
« Sertoes Off Road. » Nous comprenons tout de suite que nous sommes
au bon endroit. Confirmation du diagnostic dans les cinq minutes. Claudio, le
patron, s’en occupe personnellement. Le démontage de la boîte de vitesse est
entrepris dans l’heure et la recherche de pièces dans l’après-midi. Nous
déjeunons dans un restaurant proche et prenons une chambre dans une «
pousada » à deux pas du garage. Jacques et Martine regagnent le bivouac
d’hier : ils reviendront demain matin pour faire faire une petite
réparation. Nicole et moi nous faisons conduire en taxi jusqu’à Beira Mar, en
bord de mer où se tient tous les soirs une importante foire artisanale :
600 boutiquiers occupent autant d’échoppes sur le trottoir de la grande avenue
sur laquelle se retrouvent, la nuit venue, des milliers de promeneurs et de
joggers. Agréable soirée. En fin de matinée, le lendemain, Claudio revient avec
mon disque d’embrayage, reconditionné et deux mécanos d’attèlent immédiatement
au remontage. Dans le courant de l’après-midi, la réparation est terminée, la
facture réglée. Nous passons un agréable moment avec le personnel du garage et
nos photos et vidéos du Maroc. Puisque nous avions réglé deux nuits d’avance à
la « pousada », nous rejoindrons demain Martine et Jacques qui
partent ce soir vers Aracati.
Des deux côtés de la route, les champs de canne à sucre ont
remplacé pour un moment la maigre végétation du sertao assoiffé, qui reprend
ses droits avant Aracati faisant kilomètre après kilomètre une place plus
grande à d’immenses cactus qu’on croirait mexicains. Passée la jolie bourgade
et ses pavés, nous roulons jusqu’à Canoa Quebrada, station balnéaire à la mode
perchée sur la dune. Une falaise de sable rouge compact descend en deux
ressauts jusqu’à la plage encombrée des parasols multicolores des
« barracas ». Nous y déjeunons les pieds dans l’eau après une
agréable baignade.
Avant la grosse ville de Mossoro dont les hautes tours
s’élancent vers le ciel, nous quittons l’état du Ceara pour le Rio Grande do
Norte. La circulation des camions est intense et dangereuse. Une piste de terre
nous permet de nous éloigner de la BR 304, entre les deux clôtures de barbelés
qui nous conduisent jusqu’à un hameau de trois maisons, Fazenda Lagoa do Mato
Assù : nous demandons à bivouaquer près de la petite « igreja »
verte. On nous permet aussi de faire notre plein d’eau, « la meilleure de
la région » d’après les américains ( Coca Cola ?) et d’utiliser
toilettes et douche du village. C’est sommaire, mais c’est gentil. La nuit
venue, nous buvons un verre quand un petit attroupement se produit devant l’église.
L’homme qui nous avait accueillis vient nous proposer de participer à la
réunion de prière et nous ne nous faisons pas …prier, quoique Nicole soit déjà
en pyjama. Nous nous retrouvons ainsi, tous les quatre, une fois le tempo, la
musique et les paroles revenues, récitant avec les nos amis brésiliens,
l’intégralité d’un chapelet, soit une dizaine de Pater Noster séparant dix
dizaines d’Ave Maria qu’entame
successivement chacun des fidèles. Une fois considérés comme de bons
chrétiens, on nous fait comprendre que nous devons nous aussi, en français,
assurer notre dizaine, et c’est parti pour dix « Je vous salue … » De
fraternelles embrassades mettent un terme à la réunion. En bonus, et en image,
on nous explique que la Vierge vénérée du village, leur sainte patronne, Nossa Senhora Appareicida, est effectivement apparue,
le 18 janvier dernier, dans le congélateur du curé ( ou du maire, ou du bedeau,
on n’a pas vraiment compris ) sous la forme d’un glaçon à sa ressemblance,
comme en témoignent les photos prises à l’occasion, avant le dégel. Dire qu’au
lieu d’emporter des médailles de Lourdes, comme nos amis Maïté et Charles en
Albanie, nous avons acheté en gros, et en Turquie, quelques dizaines de Tour
Eiffel pour menus présents ! En remerciement, et en nocturne, Martine, sur
sa tablette, fait écouter aux trainardes l’Ave Maria de Gounod chanté par Nana
Mouskouri. Allez, une petite prière et au lit.
Un autre genre de miracle, c’est celui qui nous attend le
lendemain à Pirangi. Nous avons évité Natal au nez et à la barbe des rois mages
géants qui en surveillent l’entrée, effleuré seulement ses vertigineuses – et
belles - tours de béton et rejoint les hautes dunes recouvertes d’une végétation
serrée fendue de larges langues de sable, comme les sapins par les pistes de
ski, pour découvrir à leur pied, à deux pas de la plage, le plus grand
« cajueiro » du monde, un anacardier quoi ! Huit mille cinq cent
mètres carrés couvert par un seul arbre en seulement 120 ans. Six cent vingt
mètres carré supplémentaires entre 2001 et 2006. Soixante-dix mille fruits
chaque année –les cajous- et deux tonnes et demie de noix de cajou. Les
spécialistes imaginent qu’il pourrait, à terme, couvrir quarante mille mètres
carrés. Faudra quand même déplacer toutes les boutiques d’artisanat qui se sont
installées à côté.
Nous mangeons, dans une sorte d’usine sur la plage, qui doit
servir deux mille cinq cent repas les jours de semaine, et là, je vous assure,
y’a pas de miracle.
Dans l’après-midi, nous entrons dans Pipa pour y dormir sur
la « praïa ». Nous n’avions pas compris à quel point d’autres, depuis
les années quatre-vingt, ont eu la même idée. Le petit village de pêcheurs est
devenu à la mode, les « pousadas » justement poussent mieux
qu’ailleurs et nous nous trouvons rejetés sur la falaise pour un bivouac aéré.
Nous passerons tout de même une agréable soirée dans le village. Une fois la
nuit tombée et la circulation plus raisonnable, la station retrouve un charme
certain et une ambiance décontractée. Les boutiques, les restaurants chics et
les touristes qui vont avec tiennent le centre du village, mais au fur et à
mesure qu’on s’en éloigne la couleur locale réinvestit les ruelles dans la bonne
humeur.
Le parc écologique de Pipa que nous visitons sur le coup de
huit heures nous offre une facile promenade dans la forêt préservée qui borde
la falaise rouge. Un délicat sentier de sable se glisse entre les arbres
jusqu’aux points de vue d’où nous allons pouvoir observer tortues géantes et
dauphins : ben non, travaillent pas le samedi ! Mais on a tout de
même vu deux lézards, du genre caméléon, si, si, et peut être bien entendu un
oiseau.
Nous gagnons Joao Pessoa, capitale du Paraïba , ville la plus
orientale du Brésil, et nous faufilons dans la circulation jusqu’au lac qui
sert de centre à la cité. De beaux bâtiments anciens témoignent d’un riche
passé. Nous déjeunons dans un restaurant populaire en attendant la réouverture
de l’Igreja Sao Franscisco, connue pour être l’une des plus belles églises du
Brésil. Nous profitons d’une cérémonie pour nous glisser dans la superbe église
baroque de Notre Dame du Carmel. A quatorze heures, les grosses portes de
jacaranda de Sao Franscisco se ferment sous notre nez quand le Routard, le
Petit Futé et le Lonely Planet nous les ouvraient à ce moment précis : ben
non, travaillent pas le samedi ! D’autres travaillent, eux, dans la
joie : un podium occupe le fond d’une place ombragée et le petit groupe de
musiciens qui accompagne une chanteuse enthousiaste fait vibrer sans ménagement
les énormes baffles de la sono. Le public danse, discute, mange ou boit dans un
désordre total.
Nous nous installons en bord de mer, au camping, le premier,
de la « Praïa des Seixas ». Installations rudimentaires, mais les
pieds dans l’eau : repos, lecture, baignades. Nous, on travaille pas le
dimanche. Sauf Nicole et Martine qui font une grosse lessive.
Olinda et
Recife : 20 et 21 octobre.
Nous levons le camp à
7 heures pour gagner Olinda, aux portes de Recife. Des deux côtés de la grande
route, la canne à sucre occupe tout l’espace, escalade les collines, dégringole
jusqu’au fond du moindre ravin, à tous les stades de sa croissance, de la plus
jeune à celle qu’emporte vers les
raffineries d’énormes camions à deux remorques.
Nous trouvons sans
difficulté à stationner au plus près du quartier historique d’Olinda, inscrit
au patrimoine mondial de l’Unesco. 360000habitants à Olinda mais le quartier
historique sur la colline qui domine les plages, épouvantablement sales et
polluées, et offre un panorama unique sur les tours de Récife à quelques
kilomètres, n’est pas si étendu qu’on ne puisse le parcourir à pied. De NS do
Carmo la visite commence par le couvent de Sao Francisco (1585), la capela de
Sao Roque et l’igreja NS das Neves qui sont accolés : azulejos sur tous
les murs, ors sur les colonnes et les autels, statues dans les nombreuses
niches … Le séminaire et l’église NS da Graça sont le point culminant de la
ville, encore des dorures. Plus loin, la cathédrale s’est installée sur un long
balcon d’où l’on découvre les toits de la ville et les doubles clochers des
églises qui émergent des palmiers. Don Elder Camara y repose depuis 1999 en
gardant un œil sur son ancien archevéché. La visite continue par une succession
d’églises plus ou moins intéressantes. Une mention pour l’église et le couvent
de Sao Bento sur le parvis desquels, en pleine ville, nous trouverons un
excellent bivouac. Et j’assisterai aux vêpres des moines franciscains, regrettant
de ne pouvoir mêler ma voix à leur chant latin : les paroles de
« l’ Attende Dominé » ne me reviennent qu’après la
cérémonie, lointaine réminiscence de mon éducation chrétienne.
Les cloches sonnent à toute volée et nous tirent du sommeil
à 5h30, mais c’est l’heure du lever du soleil, et de toute façon celle où nous
nous levons chaque jour. A 7h, nous nous glissons dans la circulation pour
gagner le vieux Recife et, là encore, nous nous garons sans difficulté dans la
rua Bom Jesus bordée d’arbres immenses aux racines entremêlées et d’immeubles
rococo fin XIX° dans une infinité de couleurs plus ou moins heureuses.
D’immenses bâtisses à colonnades, surmontées de gloriettes de chantilly ont été
restaurées ; d’autres disparaissent sous les filets des entrepreneurs ;
d’autres encore résistent à l’affront du temps sous les coulées noirâtres qui
défigurent les façades et la végétation qui s’agrippent aux corniches. Passé le
pont, la bibliothèque municipale nous accueille pour une tentative de connexion
internet : tout le monde se met en quatre pour nous rendre service et nous
finirons par envoyer quelques nouvelles. Ces Brésiliens sont décidemment très
sympathiques. Nous ne dérangeons jamais. Ils sont curieux de notre voyage mais
restent d’une discrétion parfaite. Il est rare qu’un coup de klaxon souligne
nos hésitations dans la circulation. Ils se lancent dans de longues phrases,
dans lesquelles nous saisissons un mot ou deux et recommencent gentiment quand
ils comprennent que nous, nous n’avons justement rien compris.
Pour la visite des monuments –églises et monastères, souvent
somptueux, je vous renvoie à mes photos et à n’importe quel guide touristique.
Nous nous promenons longtemps dans les rues animées et nous perdons dans le
dédale des échoppes autour du marché Sao José. Une puissante voix de femme nous
interpelle : la dame vante en chanson les qualités de trois misérables
tabourets de contreplaqué qu’elle promène dans une brouette : elle se
prête en riant à notre petite vidéo.
Nous quittons Recife, que nous avons beaucoup aimé, un peu
frustrés de ne pas y consacrer plus de temps mais il faut bien avancer vers le
sud, dans cet immense pays et le voyage à quatre nous impose quelques
contraintes. La sortie de l’agglomération est une épreuve sportive de haut
niveau et il n’est pas facile de rejoindre la route de la côte qui se faufile
dans les collines couvertes de canne à sucre et longe la forêt de cocotiers qui
bordent le rivage. Nous trouvons notre bivouac derrière la petite église Sao
Pedro : elle ouvre ses portes sur l’océan et la barrière de corail, ourlée
à quelques encablures de l’écume blanche de la vague qui s’y fracasse. Les
accès publics à la plage sont rares. Le tourisme se développe, avec ses hôtels
de standings, ses pousadas et ses résidences secondaires parfois luxueuses.
Notre route vers Maceio, encore un million d’habitants, est
longue. Nous entrons dans le petit état de l’Alagoas. Les nombreux villages
traversés sont semés d’embuches, les nombreuses « lombadas »,
épouvantables mais très efficaces ralentisseurs. Des vaches blanches broutent
sous les cocotiers : Nicole m’explique que le Brésil est le premier
producteur mondial de lait de coco. Le paysage est plus varié, la canne à sucre
ne domine plus, la forêt tropicale recouvre les collines, les cocotiers ourlent
l’asphalte de la route. Nous déjeunons à Maceio, dans une « barraca »
de plage qui nous fait attendre une heure un plat de spaghettis. Qu’importe,
nous admirons les prouesses des surfeurs locaux qui défient les rouleaux de
l’Atlantique, tentant d’échapper à la redoutable mâchoire des requins. Après
Maceio, la canne sucre revient en force : une énorme usine de
transformation crache des fumées noires et une odeur sucrée ; des broyeurs
gigantesques expulsent la canne exsangue. Probablement une usine d’éthanol dont
le Brésil est le premier producteur et un grand consommateur : chaque
station-service en propose. Bord de mer encore ce soir, dans un espace dégagé
entre deux parcelles clôturées de hauts cocotiers.
Du 6 au 12
octobre. Lençois maranhenses.
Nous quittons Sao Luis en direction du parc national des
« Lençois maranhenses », en bon brésilien, les draps du Maranhao, par
référence aux dunes blanches qui couvrent comme des draps plissés le littoral
sur 100 kms de long. Plein de gazole et d’eau à Rosario. Sur le coup de midi,
nous quittons la route principale pour gagner, le petit village de Humberto
Campos. Par chance, une churrasquerria est ouverte et nous pouvons y déguster
poulet et saucisses. Nous ne sommes pas très loin des premières dunes, mais
aucune route ne nous permet d’aller plus loin et de franchir le rio Peria.
Retour en arrière et nouvelle tentative un peu plus loin en direction de Santo
Amaro, à 36 kms : nous cahotons d’abord sur une large piste de sable dur
bordée de parcelles plus ou moins boisées. Quelques maisons sous le soleil. Des
panneaux proposent à la vente des terrains de rêve ! Un petit pont franchi
sur une eau claire et nous traversons un village. Bifurcation. On nous indique la
piste de droite et je m’élance sans entendre la suite. Cinquante mètres plus
loin la piste attaque une raide montée dans un sable très profond. Il n’en faut
pas plus pour que je me plante : les premiers mètres de sable me sont
toujours fatals. Dégonflage et marche arrière. Bien vu : trois gros
toyotas arrivent en sens inverse. Dans les bennes équipées de trois rangées de
siège, protégées d’une toile sur des arceaux d’acier, les passagers serrés les
uns contre les autres se font balloter sans ménagement. La piste de gauche
permet d’éviter le raidillon, mais pas le sable, et ça devient sérieux. Nous
ajustons la pression de nos pneus. Je passe devant, dans l’idée que Jacques
puisse me tirer en arrière si ça ne passe pas. Mais ça passe, tant bien que
mal. Deux profondes ornières forment un amas de sable au milieu de la piste et
le pont arrière l’arase fréquemment. Nous cheminons en ballotant de droite et
de gauche entre deux rideaux de végétation épaisse qui se resserre et nous
emprisonne. Je redoute de rencontrer un véhicule en sens contraire : en
voici un, mais une piste qui rejoint la nôtre permet le croisement. J’essaye de
faire comprendre qu’un autre véhicule arrive, mais le gros toyota
« bandeirente » repart. Jacques finit par nous rejoindre après un
quart d’heure. C’est lui cette fois, qui s’était planté, et que les passagers
du « bandeirente » ont aidé à se désensabler. Comme quoi, mon pick-up
japonais n’a rien à envier à son toyota HZJ 79 : j’ai une meilleure garde
au sol et mes lames de suspension, au-dessus du pont, ne labourent pas, comme
les siennes, les flancs de l’ornière.
Tant bien que mal,
nous faisons quelques kilomètres. Après un village, tellement isolé, nous
décidons de nous arrêter pour la nuit, dans un espace de savane dégagé propice
au bivouac. Nous n’avons fait que la moitié du chemin jusqu’à Santo Amaro.
Au matin, Jacques préfère faire demi-tour : je suis
déçu, mais c’est la voix de la sagesse. Nous rejoignons la route et gagnons
Barreirinhas, entrée classique des « Lençois ». Après déjeuner, nous
embarquons pour une excursion en 4x4 dans les dunes. Un bac nous permet de
franchir le rio. Le chauffeur ne ménage pas son Hillux : le moteur rugit à
quarante à l’heure dans les ornières, les amortisseurs sont mis à rude épreuve
et nous sommes projetés les uns contre
les autres, à deux doigts d’être éjectés à chaque embardée. Les six
généreuses brésiliennes qui nous accompagnent, entre les cris de frayeur,
mangent et chantent à tue-tête. Nous chantons avec elles. Après une heure
d’épreuve, les dunes apparaissent, blanches, splendides, dominant la forêt
tropicale. Nous partons à pied pour trois heures de randonnée, pieds nus dans
le sable très fin. Un premier lac apparait derrière la première dune, le lac
des « toyoteros » et nous plongeons avec délice dans une eau à plus
de trente degrés. Les brésiliennes soufflent sur la crête suivante et se
laissent glisser vers le second lagon. Nouvelle baignade. Le troisième lac, lac
de peixe, aux eaux moins limpides, est habité par quantités de petits poissons
qui mordillent vivement. Les brésiliennes y prennent un plaisir non dissimulé,
ponctué de petits cris de surprise joyeuse. La remontée devient plus dure, et
nous devons hâler les demoiselles sur la pente : elles finissent à genoux
dans le sable, mais n’ont pas lâché le paquet de chips ou de biscuits qu’elles
continuent de consommer sous la traction. Après le « lagoa azul »,
nous arrivons sur la dernière crête quelques minutes après le coucher du
soleil. Au pied de la dune, une dizaine de 4x4 attendent les clients. Le samedi
et le dimanche, soixante ou quatre-vingt véhicules font le circuit, à douze
clients chacun. Une nouvelle heure de soubresauts finit de nous briser les
reins et nous ramène à Barreirinhas, à la nuit noire. En attendant le petit
bac, nous goutons d’étonnantes et délicieuses crêpes de manioc.
Le bivouac est établi sous un gros manguier, sur la place de
l’église, près du kiosque à musique où s’amusent les enfants. Les gens du cru
restent très discrets à notre encontre et notre présence ne semble étonner
personne.
A huit heures et quart, nous embarquons sur un petit
bateau : un jeune couple partage la balade. Nous allons descendre le
fleuve Préguiças sur 38 kilomètres, jusqu’à son embouchure. A deux reprises, au
ponton d’une « pousada », nous embarquons d’autres personnes, et nous
sommes finalement douze à bord, avec Johnny, le sympathique
« tripulante ». Le hors-bord file à toute allure au plus près de la
mangrove : quelques arrêts nous permettent de nommer quelques palmiers
remarquables en nous glissant pour quelques mètres dans un
« igarapé ». Un premier village de palmes, Morro do boi, nous offre
un rafraîchissement et quelques moustiques sous la surveillance des petits
singes qui réclament des bananes. Nous sommes au pied de la première dune des petits
« lençois ». De pauvres
hameaux de pêcheurs se succèdent entre dune et forêt impénétrable,
seulement accessibles par le fleuve. Des bras d’eau contournent les îles
couvertes de végétation. Mandaccaru dresse son phare de trente-cinq mètres à
quelques encablures de l’embouchure. Nous gravissons les cent soixante marches
pour profiter d’un panorama à 360 degrés, vers les « lençois » et
l’atlantique derrière la longue langue de sable que la marée basse découvre.
Une « caîpirinha » bien fraîche nous requinque avant de retraverser
le fleuve pour déjeuner – mal et cher- à Caburé. Baignade et hamac. Johnny nous
emmène pour finir au plus près de la passe qu’empruntent deux bateaux de pêche
rentrant au port. Nous nous baignons longuement à la rencontre des eaux salées
de l’océan et des eaux douces du grand fleuve. Sur le retour, nous observons de
beaux oiseaux sur les îlots de sables, hérons blancs ou gris, , petits
échassiers et quantités de rapaces, et même deux ibis rouges que l’envol d’une
troupe de cormorans noirs ne trouble pas et nous dévoile.
Sur le quai de planches de Barreirinhas, au bord du fleuve,
nous prenons à la nuit un rafraîchissement en laissant s’écouler le temps et
promener de très chics brésiliennes.
Ce mercredi, nous voulons rejoindre Tutoia, plus à l’est sur
la côte. La piste qui la longe sur trente-cinq kilomètres risque de nous poser
des problèmes. La route fait un détour de 50 kilomètres. Nous optons pour une
solution intermédiaire, sur 100 kilomètres, qui passe par Cardoza. La piste est
assez roulante, pas toujours facile à trouver. A midi, sous une cabane de
palmes, au bord d’un petit rio, nous déjeunons d’une « galinha »
sacrifié pour nous à un prix exorbitant, qui gâche un peu le séjour idyllique.
Dans l’après-midi, nous traversons plusieurs villages tranquilles dont on se
demande de quoi peuvent bien vivre les populations en dehors de la culture du
manioc dont les champs bordent les maisons. L’eau ne manque pas et de grands
réservoirs de plastique bleu surplombent les maisons. Avant la nuit, nous nous
installons au bord de l’eau, entre deux hameaux d’un gros village. Nous
n’étonnons personne.
Au matin, les hommes viennent un à un laver dans la rivière
un beau cheval. Une barque passe, à vide, une autre remonte le courant chargée
de fourrage. Dans un village, toute une famille est occupée à la préparation de
la « farinha », la farine de manioc, très importante dans leur
alimentation. Plus loin un jeune couple d’auto-constructeur est occupé à monter
la charpente de sa maison à ossature bois. Je me sens en proche d’eux. Nous
rejoignons le goudron près de Paulino Neves. De là, la route nous mène à
Tutoia, grosse bourgade animée, portail du delta de Parnaïba. Nous nous
installons au bord de l’immense plage de sable fin que découvre la marée basse
et qu’empruntent voitures et motos. Un restaurant nous permet de déjeuner d’un
bon plat de crevettes et de bénéficier d’une connexion wifi. Une longue
promenade sur la plage occupe la fin de la journée. La nuit sera venteuse.
De Tutoia à Parnaïba nous choisissons encore une route
secondaire, qui se transforme en piste de sable dur. Nous n’allons pas vite,
mais cela nous offre une observation plus tranquille de la vie villageoise. A
Araioses, dans un bar « 100% natureza », nous ne pouvons que boire de
la bière et du coca. Les pêcheurs débarquent de jolis crabes : dommage,
nos casseroles sont un peu petites. Le fleuve nous sépare de Parnaïba, et il
nous faut faire un grand détour par la route. A treize heures trente nous
pouvons enfin déjeuner sur le « porto
dos barcas ». La ville ne semble pas désagréable : nombre d’avenues
sont plantées d’arbres et bordées de quelques beaux bâtiments anciens. Nous
filons vers le « porto dos tutas » d’où embarquent les touristes pour
des excursions dans le delta. Excursion que nous ne ferons pas, après celle du
rio Préguiças. Une route entre cocotiers et dunes de sable nous mène vers une
longue plage … et les éoliennes de GDF-Suez. Nouvelle nuit très ventée au bord
de l’Atlantique.
Une « pousada » nous offre la wifi qui permettra
d’envoyer ces lignes et de déjeuner avant de reprendre la route.
Le 12 octobre, c’est l’anniversaire de la découverte de
l’Amérique par Christophe Colomb, mais c’est aussi l’anniversaire de Nicole qui
la découvre à son tour : bon anniversaire.
Mercredi 25
septembre 2013.
La barge brésilienne Lunay II accoste à Saint Georges à
8h30. Quelques formalités nous permettent d’embarquer : les douanes
guyanaises ont bien constaté la sortie de nos véhicules. Nous sommes –
malheureusement puisque ça nous coûte cher – les seuls clients ce matin à
traverser l’Oïapock vers le Brésil. Nous remontons le fleuve sur quelques
kilomètres : sur notre droite, les cabanes et leurs pontons sont français.
A gauche, même simplicité de l’architecture, brésilienne cette fois. Nous
passons sous le superbe pont international porté par ses haubans d’acier et que
personne ne peut encore emprunter : côté brésilien, les travaux d’accès ne
sont toujours pas terminés. La presse guyanaise faisait état il y a quelques
jours d’une probable ouverture dans un an et demie. Après trente minutes de
navigation, nous débarquons à Oïapoque : du service sanitaire, à la police
fédérale, puis au bureau des douanes, disséminés dans la ville, nous passons
une bonne partie de la matinée à diverses formalités, entrecoupées d’un premier
et copieux repas brésilien dans une gargote en bord du fleuve. Côté guyanais,
une petite bourgade sans commodités, côté brésilien une ville déjà importante et
très commerçante, débordant d’activité.
La route de Macapa, après un contrôle policier, déroule un
large ruban d’asphalte entre deux murs de verdure et sur les soixante premiers
kilomètres. Après quoi, la latérite prend la relève et les nids de poule entre
lesquels nous zigzaguons, qui ne gênent nullement les quelques camions, lancés
à vive allure dans des nuages de poussière rouge. Des ponts de bois
franchissent les nombreux « igarapé ». Bientôt, des panneaux du
ministère de la justice indiquent que nous traversons la réserve indienne Huaça
dont nous apercevons un premier pauvre village de planches. La route jusqu’à Macapa
a très mauvaise réputation : il y sévirait des bandes de coupeurs de route
prête à détrousser le voyageur. Bien avant la nuit, et pour ne pas tomber entre
leurs mains, nous choisissons plutôt les éventuels coupeurs de tête et nous
demandons l’hospitalité du village de Karipuna, où vivent douze familles
indiennes Ahuma, sous la ferme autorité du cacique Maria, sympathique petite
femme en forme de pot à tabac. Elle parle même un peu le français et nous
explique que l’autorité est détenue par les femmes chez les indiens Ahuma. Nous
nous installons au milieu du village, près de la petite école et de la petite
église, près aussi du gros générateur ! Les enfants nous entourent,
surtout intéressés par farouche, le chien de Martine, qu’ils délaissent pour le
ballon que nous leur donnons, se lançant sur l’herbe dans une partie de
football joyeuse. Les jeunes filles se tiennent timidement à l’écart. A la nuit
tombée, un groupe se retrouve sous le toit de palmes de la maison commune pour
une longue soirée de discussion. Une grande sérénité enveloppe tout le village.
Nous nous endormons en même temps que le générateur, pas
mécontents de ce bivouac exceptionnel.
Jeudi 26
septembre.
A 7h30 les grandes sœurs conduisent par la main les touts
petits vers l’école, cartable sur le dos, propres et bien habillés. Les pères
partent vers la forêt, tronçonneuse en bandoulière et les mamans s’activent
déjà à la lessive. Le mari du chef pousse sa brouette malgré ses deux pieds
handicapés tournés l’un vers l’autre. Maria, le chef, donc, vient nous saluer
avant notre départ : embrassades et petits cadeaux réciproques.
Nous repartons dans la poussière de la piste, pour une
centaine de kilomètres, tantôt roulante, tantôt défoncée, coupée de nombreuses
rivières plus ou moins larges. Sur les plus larges les pécheurs tirent leur
filet depuis de fines pirogues. Des femmes s’affairent à la lessive. Des jeunes
gens se baignent dans une eau claire. Nous retrouvons le goudron avec
satisfaction qui nous mène à C …….longue rue poussiéreuse surchauffée du
soleil de midi. De jeunes collégiennes à vélo se protègent de parapluies –
d’ombrelles – aux couleurs chatoyantes. Nous nous réfugions dans un petit
restaurant populaire : poisson frit, poulet, viande aux oignons ou foie,
l’accompagnement ne change pas : haricots rouges, spaghettis, riz,
« farinha », environ 15 reais par personne, avec la boisson, soit
environ 5€.
Nous tombons par hasard sur l’atelier d’un frigoriste qui
confirme mon diagnostic de panne du thermostat de notre frigo et nous repartons
muni de l’adresse d’un fournisseur à Macapa . Notre panne électrique
d’avant-hier vient de la consommation excessive du frigo que le thermostat ne
régule plus.
La route est longue et monotone, forêt et savane, jusqu’à
Amapa. La piste qui y mène depuis la grande route – la BR 156 – est en travaux
et nous n’en voyons pas le bout. Nous arrivons enfin dans une bourgade très
étendue : hormis le centre, on circule dans une sorte de favela à
l’horizontale dont toutes les rues finissent en cul de sac. Pas très engageant.
Nous nous désaltérons en compagnie d’un couple de Tchèques qui voyage en mot
sur tous les continents. Décidemment, Amapa ne peut nous offrir le bivouac.
Nous repartons sur la piste. La nuit est noire quand nous trouvons enfin un
endroit propice.
Vendredi 27
septembre.
Nous entrons dans Macapa vers midi et bien que les rues y
soient organisées à angle droit, ce n’est pas facile de s’y repérer, d’autant
que la circulation est importante et quelques peu désordonnée. La faim nous
tenaille : un restaurant « au kilo » fait notre affaire dans le
centre, et nous nous garons au bord d’une grande place : en peaufinant mon
stationnement, j’emboutis le capot de la voiture qui vient de s’arrêter juste
derrière moi et que je ne vois pas dans mes rétros. J’en suis pour une centaine
d’euros réglés à l’amiable. Nous déjeunons tout de même de bon appétit :
le self-service au kilo nous permet d’éviter le trio haricots/riz/spaghettis et
l’addition est très raisonnable.
Après le repas, Jacques nous mène comme un chef (merci
garmin) à l’adresse indiquée par le frigoriste d’Amapa. Pour 12€ je trouve un
thermostat compatible : une demi-heure de boulot et le frigo reprend du
service. Youpi !
Nous partons vers le port de Santana d’où partent les
« balsa » vers Belèm et ce n’est pas vraiment facile à trouver. Nous
en profitons pour passer subrepticement l’équateur : en pleine
agglomération, pas facile d’organiser une petite cérémonie, pourtant, nous
avions plein d’idées rigolotes. Après des tours et des détours, nous arrivons
sur un petit port très animé dans l’idée de nous renseigner sur une traversée
demain. Les rabatteurs nous tombent dessus : un bateau est à quai, qui
part à 18h et qui peut embarquer deux
gros véhicules. Il faudrait attendre quatre jours pour le suivant. Du lard, ou
du cochon ? Nous nous laissons convaincre, négocions le prix, courrons à
la banque retirer des espèces, faisons trois courses, et nous présentons à
l’embarquement dans la foulée, et dans la joyeuse cohue des passagers qui
montent à bord, poussant valises et paquets, accrochant tout de suite leur
hamac. D’autres y dorment déjà. Des palettes sont posées sur le quai pour
compenser la hauteur du pont, deux rampes y sont appuyées et nous embarquons
dans des conditions de sécurité un peu précaires. Nous faisons le spectacle,
dans la bonne humeur. A 18h30, le Sao Benedetto appareille sur un large bras de
l’Amazone, alors que la nuit s’installe. Contrairement à ce que nous avions
imaginé, nous sommes à la proue du bateau, aux premières loges. Macapa n’est
plus qu’un trait de lumière derrière nous et nous n’en aurons pas vu grand-chose. Les rives se distinguent
encore par les ampoules fragiles qui se balancent aux pontons des maisons de
bois. Puis la nuit, le fleuve, la forêt avalent les dernières traces de la présence des hommes. Seul le projecteur du
bateau qui s’allume par intermittence fait surgir de l’obscurité le sillage
blanc d’une pirogue, la tache verte d’un îlot de verdure à la dérive ou la
silhouette noire d‘un tronc emporté par le courant.
Sur le pont supérieur, nous buvons une bière fraîche à la
« lanchonete » du bord dans les décibels de la sono qui crache de la
samba. Les hamacs multicolores se balancent en rythme sur les trois ponts du
navire. Nous regagnons nos véhicules et trouvons rapidement le sommeil bercé
par les ondulations du fleuve et le ron-ron du gros moteur diesel.
Nuit du 27
au 28 septembre.
Un subit ralentissement du bateau et un calme étrange me
tire du sommeil. Par la fenêtre j’aperçois, bâbord et tribord, le mur continu
de la forêt à quelques mètres seulement. Nous sommes entrés dans un bras étroit
du fleuve et le balsa s’y glisse presque sans bruit : le pinceau lumineux
du projecteur danse de droite à gauche. Je suis assis sur le pas de la porte
d’Euskal-go et la forêt s’ouvre pour moi seul. Puis elle semble ne plus
s’ouvrir et le bateau va entrer dans les arbres, avant de virer de bord au raz
de la mangrove en suivant la lumière qui découvre un autre passage. Je vis un
moment magique.
Le canot du bateau se détache en pétaradant et décrit sur
l’avant une large boucle : dans le rond de lumière qui les éblouit sur le
ponton où ils attendent, un homme et sa femme, un enfant, des bagages
embarquent dans le canot et rejoignent le bord où ils installent déjà leur
hamac qui se joint aussitôt au balancement des autres. A deux reprises le Sao
Benedeto, tout en douceur, vient s’amarrer
dans la nuit à un embarcadère : des gens finissent ici leur voyage,
d’autres le commencent. Surtout, des membres de l’équipage, en équilibre très
instable sur de frêles planches, chargent à bord de lourds sacs de crevettes
séchées. L’escale a duré quelques minutes, les lumières des pontons vacillent
dans la nuit amazonienne qui reprend ses droits. Plus tard, deux bateaux de
pêche surgissent de l’obscurité et s’amarrent à tribord : le sao Benedetto
ralentit à peine. Les hommes s’affairent, de gros paniers passent de mains en
mains, crevettes encore, sous des feuilles de bananiers. Les pêcheurs à leur
tour, et leurs bateaux, sont avalés par la nuit. Le ballet du canot, bien plus
rapide que le gros navire, fera encore plusieurs aller-retour.
Je dors maintenant, et le bateau poursuit sa route sous des
milliards d’étoiles.
Samedi 28
septembre.
Prendre son petit déjeuner à la porte ouverte de sa maison
sur le fleuve Amazone et la forêt qui l’étreint est un rare bonheur. De petits
villages de bois, trois quatre maisons et leurs pontons, surgissent de loin en
loin, d’un côté ou de l’autre. Des enfants de cinq ans pagayent vivement pour
amener la pirogue sur le remou du bateau, comme les nôtres font du vélo dans la
rue, les plus grands naviguent déjà au moteur. Le linge sèche ( ?) au-dessus
du fleuve. Nous croisons des balsas chargés de passagers et de cartons, des
pirogues de pécheurs, et quand nous avons, en fin de matinée, rejoint une large
étendue d’eau, de longues barges poussées par de puissants remorqueurs. Les
villages sont plus nombreux maintenant et de grandes scieries empilent les bois
rouges sur les berges. Nous approchons d’une ville importante, tributaire du
fleuve, Breves, qu’une grande statue de Santa Anna annonce de loin. Le Sao
Benedetto va y faire escale pendant deux heures. Un grand nombre de passagers
est arrivé à destination et descend par la petite passerelle, encombré de sacs
et de cartons. Nous descendons aussi pour une promenade dans la ville, sous un
soleil de plomb. Toute l’activité économique se concentre le long du fleuve et
des quais, gare fluviale, entrepôts, marché… Nous y faisons quelques courses,
dont un kilo et demi de crevettes fraiches qui feront notre régal ce soir.
Le bateau appareille
à midi. Nous déjeunons au menu du bord, dans nos cellules, tellement le bruit
des deux gros moteurs diesel est assourdissant à l’unique table du restaurant
( ?) : bœuf en sauce, riz, spaghettis, haricots rouges. L’après-midi
s’écoule, lentement, plus monotone car nous naviguons sur le fleuve immense à
cet endroit, parsemé d’îlots lointains. Un gros bateau de pêche semble à
l’encre en pleine mer et le nôtre vient s’y accoler doucement : le
chargement des crevettes s’effectue en dix minutes et le San Benedetto reprend
sa course. La pluie, à plusieurs reprises nous force au repli et brouille
l’horizon. Nous naviguons maintenant dans un chenal rétréci aux berges
désertes. Puis Sao Sebstîao est, avant Belèm, la dernière escale de notre
navire. La rivière est si étroite que le capitaine pousse la proue du bateau
dans la mangrove pour le faire pivoter et le mettre à quai. Des passagers
débarquent et nous repartons : la manœuvre est sans faute.
Nous partageons un excellent melon et nous régalons de nos
crevettes préparées par Nicole qui n’a pas oublié de les assaisonner d’un peu
de piment d’Espelette. Un bon vin blanc bien de chez nous ne nuit pas à
l’affaire.
Nous nous sommes couchés tôt. Mais le clapot nous réveille,
le vent s’est levé, les embruns, les vagues peut être, frappent notre
maisonnette. Nous sommes entrés dans un bras plus large du fleuve, le mauvais
temps y règne. Secoués de toute part, ce n’est plus le moment de quitter la
station horizontale et les deux heures qui suivent ne sont vraiment pas
agréables. Nous finissons par nous rendormir quand le bateau, de nouveau, s’est
glissé dans un étroit canal.
Dimanche 29
septembre.
On nous avait annoncé l’arrivée à Belèm pour 5h, puis pour
6h, qui nous convenait mieux. A 5h30, des coups frappés à la porte nous
réveillent en sursaut. Le Sao Benedetto est en train d’accoster. Deux énormes
planches en guise de rampe nous permettent de regagner la terre ferme, et
boueuse, et nous sortons bientôt du port pour nous arrêter sur la première
avenue, presque déserte à cette heure-ci, un dimanche, pour le petit déjeuner
que nous n’avons pas eu le temps de prendre. Après quoi, le GPS de Jacques nous
mène sans difficulté à travers la grosse agglomération – un million d’habitants
– jusqu’à l’hôtel Massilia, tenu par un français, dans le parking duquel nous
espérons pourvoir bivouaquer. On nous fait une petite place, et nous négocions
une chambre simple pour bénéficier des commodités sanitaires, et d’abord d’une
bonne douche indispensable après la chaleur, et la moiteur, des deux jours
précédents.
Nous sommes, par chance, à 200m de la « praça da
Republica » le cœur vivant de Belèm. De plus, comme tous les dimanches,
s’y déroule une foire artisanale et les particuliers y tiennent de petits
stands de restauration : jus de fruits locaux, pâtisseries, plats à emporter … Nous rencontrons Simon,
jeune pâtissier français qui démarre une petite activité de fabrication et vente
de gâteaux aux saveurs équatoriales : coco, goyave … Sur le kiosque de
métal, un groupe de musiciens se prépare. Les familles se retrouvent sous les
grands arbres, les jeunes gens affluent. La haute façade du théâtre du XIX°
contraste étonnamment avec les immenses tours délabrées qui surplombent la
ville. Nous descendons à travers les rues vers le marché «ver e peso », admirant au passage quelques belles constructions de style
portugais, la cathédrale baroque et l’ancien fort portugais. De gros canons
rouillés pointent sur la baie et l‘île de
Mosqueiro. L’activité dominicale du marché est moindre qu’en semaine.
Dans les anciens bâtiments métalliques venus d’Angleterre au XIX° siècle et
aujourd’hui en restauration, le marché au poisson regorge d’espèces inconnues
de nous. A l’extérieur, sous des multitudes de tentes en enfilade, les
médecines amazoniennes occupent une grande place dans des flacons de toutes
couleurs. L’artisanat -poteries, vanneries, objets en bois- est bien
représenté. Les crevettes séchées de toutes les tailles remplissent les paniers
sur des dizaines de stands. Enfin d’innombrables gargotes se partagent un grand
espace couvert. On y mange debout ou sur de haut tabouret et nous y
déjeunerions bien si nous n’avions pas tant besoin de nous asseoir après trois
heures de déambulation sous une chaleur suffocante. Mal nous en prend, car
c’est dimanche, et nous ne trouvons rien d’ouvert jusqu’à atterrir dans un
fast-food où nous mangeons très mal. Pour couronner la chose, un jeune homme
mal intentionné tente de m’arracher mon appareil photo, mais je tiens fermement
la courroie et le morveux décampe avant de prendre là où il faut le coup de
pied que je lui destine. Sur la place de la république où nous sommes revenus
un orchestre rassemble un grand nombre de jeunes. Une grosse salade de fruit
nous rafraichit. Nous revenons vers l’hôtel pour une pause climatisée. En fin
d’après-midi, alors que nous sommes ressortis, une bonne averse nous ramène
sous le parapluie jusqu’à notre parking. La soirée se passe au Massilia, pour
de longues ablutions et une connection internet.
Lundi
30 septembre.
Cette matinée de lundi sera sportive : nous partons à
pied à la recherche d’une laverie sur les indications de l’hôtelier. C’est
l’occasion de découvrir un autre quartier de Belèm, rues et avenues plantées de
grands manguiers qui y font des tunnels de verdure, anciennes maisons
quelquefois tarabiscotées, centres commerciaux animés. Notre linge sera lavé,
séché, plié pour 16h30. Nous cherchons aussi un adaptateur universel pour
pouvoir brancher nos ordis dans les prises locales et nous parcourons de
kilomètres, d’un magasin à l’autre, d’un quartier à l’autre, chez les
spécialistes qu’on nous a indiqué. Finalement, c’est dans un bête magaZin genre
monoprix que nous finissons par dénicher l’objet de notre recherche. Nous
déjeunons de bon appétit dans un « centre d’alimentation »très
fréquenté, composé de 25 gargotes
numérotées qui proposent une nourriture simple mais roborative.
Un taxi nous emmène en début d’après-midi vers le phare et
les jardins botanique en bord de fleuve, fermés le lundi, puis nous dépose
devant la belle basilique NS de Nazaré. Datant seulement du début du XX°
siècle, inspirée de la basilique St Paul à Rome, la nef est impressionnante
d’une rigueur romane. Au-dessus de l’autel de marbre, une frise d’angelots de
plâtre entoure la petite statue de NS de Nazaré derrière laquelle jaillit une
multitude de rayons d’or. Pour le « Cirio de Nazaré » elle sortira en
processions pendant deux semaines à partir du deuxième dimanche d’octobre, pour
les deux millions de personnes qui en font l’une des plus importantes
manifestations religieuses au monde. Déjà sur le circuit emprunté, les petits
autels se montent au-dessus des magasins, les ouvriers dressent les estrades.
Tout en nous promenant, nous allons chercher notre linge et revenons vers le Massilia
par le chemin des écoliers. J’ai dans l’idée de ressortir vers 20heures pour
déguster le meilleur « tacaca » de la ville, soupe de crevettes et de
légumes, près de la basilique, mais j’ai décidemment trop de kilomètres dans
les jambes.
Mardi 1°
octobre.
La sortie de Belèm n’est pas une mince affaire et nous
demande plus de deux heures dans une circulation infernale, entre des colonnes
d’autobus à toutouche. J’ai bien de la peine à suivre Jacques. L’explication de
ces embouteillages nous vient plus tard quand nous découvrons les énormes
travaux d’un échangeur en pleine agglomération. Nous déjeunons dans une
« churrasqueria » sur le parking de la station où nous faisons le
plein.
La route vers Sao Luis n’est pas désagréable, mélange de
savanes et de marécages, de forêt clairsemée où domine le palmier, de fazendas
clôturées où paissent les zébus, bordée de quelques villages aux maisons de
bois ou de brique sans enduit, de part et d’autre de la petite église bleue, ou
jaune, ou verte dont les deux petits clochetons attirent l’œil, un peu en
retrait. Après le passage d’un pont, sur un important rio, une grosse bourgade se prépare à une
soirée électorale : dans une joyeuse cacophonie, une foule en tee-shirts
jaunes, converge vers la place principale en voiture, en moto ou en vélo, à
cheval parfois au son de sonos tonitruantes. Les affiches du candidat, ou de
l’élu, couvrent les portières des voitures.
A 17h, nous nous arrêtons dans un hameau et nous nous
installons sous un arbre, avec l’aimable autorisation du tenancier du petit
bar, au beau milieu d’une place de terre disproportionnée pour ces trois
maisons. Nous buvons une bière bien méritée et demandons si l’on peut nous
servir à manger : on nous fera griller une excellente viande de bœuf,
accompagnée de quelques tomates. Sur la place, des semi-remorques énormes
s’arrêtent, manoeuvrent, repartent, dans le bruit et la poussière, sans que
l’on comprenne rien à leur manège. Ils ne nous empêcheront pas de dormir.
Mercredi 2
octobre.
La journée commence par un délicieux ananas offert par la
propriétaire du bar. Tout le monde s’affaire, qui avec un balai, qui avec un
râteau, qui avec une brouette, à nettoyer la grande surface de sable devant
l’établissement, défoncée par les énormes semi-remorques qui y manoeuvrent.
La BR 136 traverse quelques agglomérations animées, tout en
longueur de part et d’autre de la chaussée : d’imposants ralentisseurs
imposent une vitesse très modérée. Des sonos tonitruantes sur pick-up appellent
à l’on ne sait quelle animation. En plus de la petite église catholique, chaque
village a son « Assembleia de Deus ». La route est rectiligne, à
peine épouse-t-elle quelques ondulations du terrain. Les fazendas se succèdent
entourées des enclos de bois qui servent au tri du bétail. Dans les grands
espaces gagnés sur la forêt, paissent tranquillement les troupeaux de vaches
blanches. Les bouquets de palmiers sont le principal relief de ces étendues.
Nous approchons de Santa Ines, où nous allons pouvoir
déjeuner : la circulation s’interrompt derrière des camions immobilisés.
Un double semi-remorque tente de faire demi-tour et ajoute à la pagaille. Nous
nous faufilons avant de nous rendre à l’évidence : on ne passera pas. Nous
sommes sur les terres de la petite réserve des indiens Guajajara et quelques
emplumés, mécontents des mesures adoptées à leur égard par le gouvernement ont
décidés de le faire savoir. Armés, mais pacifiques, d’arcs et de flèches, les
visages grimés de peintures traditionnelles, couronnes de plumes colorées sur
la tête, ils ont mis le feu à un tronc d’arbre qui barre la chaussée et renforcent
le barrage de grandes palmes vertes. Les femmes restent un peu en retrait,
devant leur village. Un tracteur en travers supporte une banderole et le slogan
de leur colère. Les passagers des bus arrêtés des deux côtés du barrage
prennent les choses avec philosophie, comme les chauffeurs routiers qui
improvisent le casse-croute sous les remorques : personne ne s’énerve.
Sauf l’un des indiens qui engueule ses camarades pour avoir laisser passer les
piétons : les bus échangent leurs clients, pour repartir en sens inverse.
Une tête de vache est mise à cuire sur une grille, et quelques poissons. Une
jeune indienne réalise à l’encre une œuvre d’art sur le bras de Nicole et lui
vend une jolie boucle d’oreille de plumes chatoyantes. Dans une maison de terre
enfumée du village où l’on m’a entrainé, j’achète avec plaisir deux bouteilles
de soda pour désaltérer les manifestants. Ils se laissent photographier avec
bonne humeur. Mais la faim nous tenaille, et nous les quittons, en les assurant
de la résonnance internationale que nous allons donner à leurs
revendications : c’est ce que je fais ici !
A Bom Jardim où nous sommes revenus, nous nous restaurons,
« au kilo » aujourd’hui encore, toujours pour quelques reals. Sur la
carte Michelin nous cherchons un possible contournement du barrage : une
petite route, par Monçao, devrait faire l’affaire, et nous nous retrouvons sur
une piste de terre et de sable pour une soixantaine de kilomètres, qui nous
fait passer au plus près des plantations de palmiers à huile et par deux ou
trois villages isolés. Vers 17h, nous nous posons sous les manguiers, au bord
du rio Pindaré.
Jeudi 3
octobre.
A peu de distance de notre campement, nous traversons un
village tranquille : la piste s’arrête ici en surplomb du rio Pindaré.
Bienheureusement, un bac assure la liaison avec l’autre rive et la ville de
Pindaré Mirim. Le marché au poisson y bat son plein, proposant un grand nombre
de variétés locales. Nous allons repartir après quelques courses au marché
municipal : une voiture de la police militaire s’arrête près de nous et
quatre gaillards armés en descendent. Nous discutons - si l’on peut appeler
discussion trois mots de portugais mal prononcés, quelques gestes
incompréhensibles et des mimiques idiotes – tant et si bien qu’après nous avoir
dessiné un croquis pour rejoindre la route de Sao Luis, ils décident ne nous
accompagner jusqu’à la sortie de la ville. Quelques minutes après, nous voilà
sur la bonne route, non sans que deux d’entre eux nous aient demandé, sans
insister, un peu d’argent pour un sandwich ou quelque chose à troquer.
Déception, la leur, de ne rien obtenir, la nôtre, de rencontrer déjà la
corruption.
La route à deux voies qui mène à Sao Luis, la BR 136, est
très dangereuse : les innombrables ralentisseurs se passent à 10km/h mais
certains en profitent pour doubler au grand dam de leurs amortisseurs. Avant de
dépasser, nous nous posons d’abord la question de savoir s’il est bien
raisonnable de risquer sa vie, celle de sa moitié, voir même celle de son chien
et celle du camionneur qui arrive en face : le temps de répondre
négativement à la question et de se rabattre parce que de toute façon une
double ligne jaune interdit le dépassement avant le sommet de côte, les trois
voitures qui suivent, sans la moindre visibilité, effectuent la manœuvre
interdite sans se poser les mêmes questions. « Deus è fel. » Ben oui,
ça le fait.
Nous contournons Sao Luis pour chercher un bivouac sur la
plage de Raposa. En fait de plage, nous parvenons à un petit port : pour
atteindre la plage, il faut prendre le bateau. De belles dunes de sable blanc
nous narguent par-delà le bras de mer. Le propriétaire d’un pick-up nissan
flambant neuf a l’air tout content de nous voir arriver et nous ne tardons pas
à apprendre qu’il est aussi l’heureux propriétaire – le seul à Sao Luis et sans
doute le seul dans tout le nordeste brésilien – de la magnifique cellule
amovible qui va avec, et qu’il est allé acheter en Argentine. Il est encore
propriétaire d’un gros pistolet qu’il nous exhibe : Il a lui-même été
blessé par balle à plusieurs reprises et nous montre les cicatrices des
trous : j’hésite à lui monter le mien. L’endroit tranquille où nous nous
sommes installés, au calme et loin des réverbères du port, serait mal fréquenté
la nuit et nous devrions venir dormir devant chez lui. Nous nous exécutons,
plutôt que d’être exécutés et nous mettons sous la protection de son gros
pistolet.
Vendredi 4
octobre.
Dans la nuit, la
marée montante est venue lécher les roues d’Euskal-Go, tandis qu’un coq
intempestif sonne le réveil toutes les trois minutes à partir de trois heures
du matin. Le petit port de pêche est
particulièrement sale. Les poissons sont maintenant des espèces de
l’Atlantique. Les pêcheurs ravaudent les filets ou réparent les vieux bateaux
de bois. Nous décollons à 8h sans avoir vu notre ami pistoléro. Nous le
croiserons sur la route de Sao Luis. Nous finissons par nous garer au bord de
la baie, près de la gare fluviale d’où partent les bateaux pour l’île
d’Alcantara. Il faut bien avouer que la visite du centre ancien ne nous emballe
pas vraiment : quelques belles bâtisses
de style portugais ont bien été restaurées mais la plupart sont dans un
état de délabrement avancé. Les azulejos sont très endommagés et sont
remplacés, quand ils le sont, avec un sens de l’à-peu-près audacieux. La
cathédrale da Sé conserve une certaine allure mais la végétation s’accroche à
ses deux clochers blancs. Malgré l’inscription de Sao Luis au patrimoine
mondial, la cause semble désespérée. Le quartier commerçant que nous
parcourons, au-delà du centre ancien, n’est pas très engageant non plus.
Commerces très bas de gamme, chalands nombreux mais socialement défavorisés. La
population aisée de Sao Luis réside probablement dans les beaux appartements
des grandes tours que l’on aperçoit, de l’autre côté du pont. Nous déjeunons
encore dans un restaurant « au kilo » qui nous permet de choisir nos
menus sans avoir à déchiffrer longtemps la carte en brésilien et de nous servir
en fonction de notre appétit. Après le repas, nous visitons le musée des arts
populaires qui présente surtout des costumes traditionnels, de fête, de
carnaval, des objets hétéroclites plus ou moins anciens, quelques tambours de
bois, des scènes entre religion et superstition, le tout dans une mise en scène
vieillotte ? Nonobstant, (pas facile à placer) la visite ne manque pas
d’intérêt. Un tour dans un petit marché
touristique termine notre visite et nous reprenons les voitures pour terminer
la journée en sirotant des « caïpirinas » en bord de plage, les yeux
rivés –pour les messieurs- sur les trésors brésiliens que dévoilent
audacieusement le fameux bikini. Les dames commentent. Une délicieuse baignade dans une eau à 30°c nous ramène à la
réalité de nos chairs pâles et vieillissantes au milieu des appétissantes
carnations de la jeunesse « marahense ». Etre ou avoir été !
Le superbe ballet des
voiles de kite-surf finit en apothéose sur fond de coucher de soleil sur
Alcantara.
Un grand merci pour ce récit complet et intéressant, on se croirait à côté de vous !
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